Le Capharnaüm de Grolf
Le temps qui passe, le temps qui reste...

2003 - 2023. Vingt ans. Voilà vingt ans que j'ai ouvert ce site. Il a connu plusieurs versions, plusieurs avatars, mais l'idée a toujours été de partager. D'abord des scénarios, des aides de jeu, des traductions diverses et variées. Y compris partager la création de ces documents, partager le travail et en faire profiter tous ceux qui en avaient besoin, qui en avaient envie.

L'envie justement. Il y a vingt ans, j'étais en pleine période d'activité rôliste et en tant que meneur de jeu, j'avais une production fréquente, en particulier de scénarios, ce qui m'a permis, des années durant, d'alimenter régulièrement le site. Et j'ai eu la chance de pouvoir y accueillir le formidable travail d'autres auteurs et d'autres traducteurs. L'envie était là.

Aujourd'hui, cela fait une dizaine d'années que je ne mène plus, que je ne joue plus. Pas forcément par choix, non. Au début, peut-être n'y avait-il que l'envie de faire une pause, au moins dans la maitrise de parties. Mais aussi ensuite par la force des choses puisque les propositions de parties se faisaient de plus en plus rares, jusqu'à disparaitre complètement. Ces dix dernières années, j'ai bien pu être joueur à quelques occasions, mais de trop rares fois et sans que cela ne donne rien de durable.

Ai-je envie d'écrire de nouveaux scénarios ? Sans doute. Des histoires en tout cas. Des idées me trottent dans la tête quelques fois. Quelques fois je prends des notes, juste au cas où. Mais la motivation reste trop faible encore pour pousser les choses jusqu'au bout.

Ai-je envie de mener de nouvelles parties ? Non, vraiment pas, même pas des scénarios que je pourrai parvenir à écrire et à préparer de bout en bout.

Ai-je envie d'être joueur à la table d'un autre meneur de jeu ? Je ne sais pas. Je ne suis même pas sûr de savoir quoi répondre à cette question, alors en général je réponds simplement "Pourquoi pas ?", mais j'ai l'impression que les gens à qui je dis ça se disent que je ne suis pas vraiment motivé et les propositions fermes ne viennent donc pas. Je ne peux même pas leur donner tort.

Bref, tout ça pour dire que depuis dix ans, je n'ai plus de matière pour alimenter ce site, probablement plus beaucoup d'envie de le faire non plus. J'ai donc décidé de le fermer, sans doute aux alentours de son vingtième anniversaire en juin prochain. Peut-être pas le fermer définitivement, peut-être lui donner une nouvelle forme. Je ne sais pas.

J'ai apprécié en tout cas le fait de pouvoir partager avec quelques auteurs la publication de documents sur ce site, et j'ai été touché de recevoir des messages de quelques personnes me disant qu'elles appréciaient tout ce travail, et je les remercie pour ça.

Reste à savoir si les rôlistes prennent vraiment leur retraite un jour, s'ils finissent par ranger les dés et les fiches de personnages. Est-ce définitif ou temporaire, qui peut l'affirmer ? Je laisse en ligne un petit article à ce sujet ci-dessous.

En tout cas, je vous souhaite de profiter au mieux du temps qui reste, comme l'a si bien chanté Serge Reggiani...

Grolf,
Le 26 Mai 2023

La retraite des rôlistes est-elle remboursée par les assurances sociales ?

Dans la vie, il arrive à tout le monde de se poser des questions existentielles : qu’est-ce qui fait pleurer les blondes ? Qu’est-ce qui fait tourner le monde ? Et refleurir les lilas ? Aujourd’hui, je m’en pose une autre : un rôliste prend-il sa retraite ? Que celui qui n’a jamais déliré un soir autour d’une table en disant qu’il se verrait bien encore lancer des dés dans une maison de retraite me jette la première figurine !

Les débuts

J’ai commencé à pratiquer le jeu de rôle en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, en 1984 pour être précis. On lit des "Livres dont vous êtes le héros", on achète une boite rouge un peu par hasard parce qu’il y a un joli dragon dessus, et hop, c’est l’escalade. On s’extasie sur de magnifiques parties de Donjons & Dragons (la fameuse boite rouge en question) ou de l’Oeil Noir. On était maître du jeu ou joueur, chacun son tour. On aimait dessouder du gobelin, chasser du troll, humilier du kobold ou encore découper de l’orque en petits cubes. Il fallait sauver la princesse, rafler le trésor, ou libérer les villageois. C’est à cette époque lointaine qu’est né un certain Grolf, guerrier nain de son état. On jouait entre copains du quartier, six ou sept gamins, tous de la même tranche d’âge, peut-être avec trois ou quatre ans d’écart entre les plus jeunes et les plus "vieux". On jouait pendant les vacances, sur un coin de table, dans un garage ou une véranda, dès qu’on avait dix minutes, entre un match de foot et une ballade à vélo. Que demander de plus ?

L’abstinence

Et puis, il y eu le baccalauréat et l’été 1990. Notre beau diplôme en poche, chacun partit faire ses études à Aix, Marseille, ou plus loin encore, et notre petit groupe se disloqua. Du milieu rôliste de ce temps-là, nous ne connaissions que notre propre bande, la mythique boutique aixoise de la Librairie des Tanneurs, et les images sorties de Casus Belli. Les copains partis, les bouquins commencèrent à prendre la poussière sur les étagères...

Ainsi, après 6 ans de pratique arriva donc pour moi une retraite anticipée du milieu rôliste. Et là se pose le premier cas : la retraite prise par un joueur parce qu’il ne peut plus pratiquer son loisir favori. Pour moi, c’était par absence de groupe. Pour d’autres, cela peut être par manque de temps, de moyens, ou tout autre contrainte qui "oblige" le joueur à arrêter d’arpenter les donjons.

Les hasards de la vie

En 1998, alors que je faisais mon entrée dans une nouvelle entreprise, le hasard mit sur ma route un rôliste. Le premier que je rencontrai depuis huit ans. Au fil de nos discussions, il me proposa de venir faire une partie avec son groupe. J’avais remisé mes armes et mes grimoires au vestiaire depuis belle lurette, et ce n’est pas forcément les Eye of the Beholder, Baldur’s Gate et autres jeux video qui avaient permis d’entretenir un lien avec la communauté. Alors dans un premier temps, j’y allais à reculons, juste pour voir, en promettant que l’on ne m’y reprendrai pas à deux fois.

Une partie, puis deux, trois, une campagne en entraînant une autre, et de fil en aiguille, on commence à jouer presque toutes les semaines, parfois plusieurs fois le même week-end. Et voilà presque neuf ans que cela dure. Entre temps, En l’an 2000, j’ai commencé à fréquenter le milieu rôliste associatif. D’abord dans des tournois, puis comme membre et organisateur.

Les goûts et les couleurs

Toutefois, les temps changent, les gens évoluent, et avec eux, leurs goûts et leurs envies. On développe des allergies, on ne se contente plus de petites histoires improvisées à la va-vite autour d’une pizza froide, on ne s’amuse plus à défoncer des portes et trucider du gobelin à tour de bras pendant toute une soirée. Bref, on fait la fine bouche, on a des goûts de luxe, on a envie de rêver plus loin que le donjon du bout de la rue. On apprend aussi à apprécier le roleplay, le plaisir de la discussion et des personnages aux historiques fouillés.

Personnellement, les jeux de science-fiction me donnent de l’eczéma, le mot post-apocalyptique me donne envie de vomir, et les jeux où il faut avoir fait des études de mathématiques pour régler un combat en moins de quatre heures m’ennuient. Autant j’aime découvrir de nouveaux jeux, autant je suis sélectif, et finalement, peu de jeux m’attirent réellement avec passion. Il y a donc des jeux que j’aime et auxquels je pourrai jouer tous les week-ends. J’adore Cthulhu : je n’ai pu jouer que quelques parties, la plupart du temps en tournoi. Je rêve de jouer une campagne de Mage : L’Ascension : j’ai joué trois campagnes qui ont toutes avorté au bout de quelques séances. Je prend grand plaisir à jouer des lanceurs de sorts, notamment à Donjons & Dragons : j’ai participé à deux campagnes plus ou moins longues, mais les deux se sont achevé plus ou moins en eau de boudin. J’aime jouer des intrigues à Vampire, résoudre des enquêtes à COPS, et bien d’autres choses encore. Mais sans maître de jeu, comment faire ?

Alors les jeux que l’on aime et auxquels on aimerait (secrètement) être joueur, on les achète et on y maîtrise des scénarios, des campagnes. Parfois, le plaisir que l’on a avec ces jeux est si fort qu’il donne de grands moments qui font que les joueurs apprécient ces parties. Alors ils en redemandent. Et on maîtrise à nouveau, on poursuit la campagne, on fait la suite du scénario qui était si bien l’autre fois, mais oui, tu sais, celui où on jouait des mousquetaires...

Tout passe, tout lasse

Et finalement, on joue de moins en moins. On a beau adorer maîtriser, on aime bien jouer aussi. Au moins de temps en temps. Vient ainsi, lentement mais sûrement, un autre cas de retraite possible : la perte de l’envie. Est-ce que j’ai envie de continuer à maîtriser, tout en jouant très peu ? Oui, car le paradoxe est bien là : depuis 1984, je n’ai jamais côtoyé autant de rôlistes que ces derniers mois et ces dernières années, et finalement, je n’ai jamais été aussi peu à la place du joueur. Durant l’année écoulée, même si une évaluation précise est difficile à donner bien sûr, je dirai que dans 80 % des parties auxquelles j’ai participé, j’étais derrière l’écran.

La fin de carrière est-elle proche ? Je ne sais pas. Vais-je ranger à nouveau mes dés au grenier ? Je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est que l’envie n’est peut-être plus aussi présente qu’auparavant, mais que je trouve toujours de la motivation dans quelques rares moments de grâce. Ce qui est sûr, c’est que je vais me recentrer sur ces moments de plaisir, et sans doute réduire les activités qui, sans être dépourvues de bons moments, me fournissent moins de joies et de petits bonheurs.

Que ce soit parce qu’il ne peut plus jouer ou parce qu’il n’a plus envie de jouer, il arrive qu’un rôliste arrête ses activités. Peut-être serai-je bientôt ce rôliste en retraite. Ou peut-être que le hasard et les rencontres, comme en 1984 ou en 1998, feront que la flamme se ravivera pour plusieurs années encore... Qui vivra verra... Les dés sont jetés.

Grolf,
Le 26 Novembre 2006

Post-scriptum

2011. Fin de partie. Fin de campagne. Les dés et les bouquins au placard. Après une campagne de longue haleine, le besoin d’une pause se fait sentir. Cette fois, l’envie semble vraiment émoussée et la charge d’organiser régulièrement des parties, de trouver de nouvelles idées de scénario et de maitriser des séances tard le soir, commence à devenir très pesante. Quelques semaines d’arrêt et puis on verra.

2012. Les semaines se transforment en mois. Des idées qui reviennent et qui forment des histoires, le plaisir retrouvé d’écrire, mais pas forcément d’envie de remettre en route la lourde machine des parties. Un tournoi, une convention, juste pour le fun, pour voir. Sympa, mais sans plus. Alors, c’est bien fini cette fois ?

2015. Voilà bien longtemps que j’ai vendu tous mes bouquins et que mes dés trainent au fond d’un carton. Je retombe par hasard sur cet article, je repense à toute cette époque, et j’ai presque l’impression que c’était une autre vie, que tout cela m’est devenu totalement étranger. Suis-je trop vieux pour ces conneries ? Ai-je vraiment envie de refaire un test ? Et si cela s’avérait positif, serais-je prêt à repartir casser du gobelin ou à pister le chthonien ? Qui sait...

Grolf,
Le 12 Avril 2015